La rentrée de la Toussaint

Un matin d'hiver, 8h00. Les lycéens commencent à se rassembler devant les gigantesques grilles du lycée du Phénix Sacré pour attendre leurs compagnons de classe, d'autres entrent dans le campus pour attendre sagement la sonnerie. Mais un grondement lointain s'approchait peu à peu, jusqu'à-ce-que jaillisse une énorme 50cm^3 rouge et blanche qui fonçait droit sur les élèves. Ceux-ci s'écartèrent pour laisser entrer la personne qu'il qualifiaient de "fou" et de "chauffard". Ayant fait un crissant dérapage parfaitement contrôlé pour se retrouver sous le porche destiné aux véhicules du personnel, la moto vit son moteur arrêté et son conducteur retirer son casque sous les yeux ébahis des adolescents. Quivani arrivait toujours en trombe au lycée, et chacun était impressionné par ses entrées fracassantes et pleines de classe. Elle jeta un coup d'œil aux garçons qui bavaient devant la mécanique avant de prendre son sac dans son coffre, le jeter sur son épaule et se diriger vers le milieu de la cour, son casque métallisé sous la main. Aujourd'hui Van s'était mise en chemise grise et jean noir. Ses larges épaules lui évitaient d'être abordée par les voyous d'une autre école fusionnée avec ce grand lycée. Elle s'affala alors sur un banc gelé en y balançant son sac noir et attendit la sonnerie en fermant les yeux.

Toujours un peu endormie, Amiko marchait dans le froid de la Ville, en direction de son gigantesque lycée. Elle se demanda au passage comment faisait les filles pour porter des jupes par ce temps, même avec manteaux, collants et grosses chaussettes : l'uniforme des garçons était bien plus chaud et confortable, bin qu'un peu grand pour la petite lycéenne. Celle-ci sursautta brusquement quand elle entendit un dérapage crissant : Qui était mort ?
Elle se rendit compte une fois arrivée devant le portail, qu'il s'agissait d'un élève qui ne faisait que se garer. Elle le suivit du regard.

*C'est... qui ? Elève ou prof ? Bah... *

Elle haussa ses frêles épaules puis augmenta le son de son I-pod en continuant à marcher, songeant à rentrer vite en classe profiter de la chaleur des radiateurs. Sur son chemin, elle remarqua le conducteur de l'engin installé seul sur un banc. En se rapprochant, Amiko se rendit compte qu'il s'agissait... d'une fille. Amiko se gratta la tête, un peu perturbée puis alla continuer son chemin quand elle entendit Satan lui marmonner :

*Fais attention.*

Amiko s'arrêta et se mit à observer Quivani fixement, se demandant pourquoi se méfier d'elle : à cause de sa carrure ? La lycéenne, ayant l'habitude de se battre contre le double de sa taille (sans forcément gagner) se rapprocha innocemment du banc occupé par l'autre et s'y installa, l'air de rien, son sac entre ses jambes, les fesses posées sur le haut du banc et ses coudes sur les genoux. Une pose très féminine qui la grandissait encore plus.

*Tête brulée...*

Satan se tut et remit la musique. Amiko balança sa tête en rytme, oubliant déjà sa voisine.

Un long bâillement s'échappa de la bouche de Quivani qui était en train de réfléchir activement au moyen de pister les adolescents les plus propices à se faire posséder. Il était bien connu que les jeunes gens étaient, en période de crise, facile à investir. Ce n'était le fait que quelques démons mineurs les pervertissent qui gênait le plus l'Observatrice, mais plutôt que là où on démon est, un ange rapplique, et s'en suit suivant des combats interminables avec d'importantes pertes déséquilibrant Ce Qui Est. Une froide bise vint lui fouetter les joues, et ce fut avec un grognement intérieur que Van ouvrit les paupières. Tiens, une fille à côté d'elle. Enfin, elle le pensait, malgré l'uniforme masculin.
Son esprit encore engourdi par le petit voyage en moto mit du temps à retrouver toutes ses perceptions. Mais lorsqu'elles furent à nouveau toutes opérationnelles, les pupilles des yeux gris de la jeune femme se rétractèrent jusqu'à ne plus avoir que la taille d'une tête d'épingle. Elle tourna la tête vers Amiko d'une façon un peu plus "intéressée" qu'avant en fronçant les sourcils. Impossible qu'une si frêle fille ait pu intéressé un démon. Mais la présence démoniaque que Quivani percevait n'avait rien à voir avec les habituels démons mineurs qu'on croisait un peu trop souvent dans cette région. Décidant de suivre l'adolescente à la trace (ou presque, Van n'avait pas qu'elle à surveiller), la vieille élève lui adressa la parole, sa voix grave et posée se faisant assez forte pour surpasser le volume de la musique sortant des écouteurs d'Amiko.

- On se les gèle. On doit être les deux seules filles dans ce bahut à avoir la chance de pouvoir porter des fut's.

Sous le "I will" de Sowelu, la bouche d'Amiko formait les mots qu'elle comprenait, complètement baignée dans la musique. La lycéenne était tellement concentrée sur sa chanson qu'elle sursauta presque quand sa voisine lui parla. Elle tourna la tête vers son interlocutrice, les yeux légèrement arrondie, retirant son casque bien-aimé et baissant sa musique, elle la considéra un moment, essayant d'assimiler ce qu'elle de lui dire... Eh oui, Amiko n'était pas une fille qui réagissait au quart de tour. Ses yeux reprirent une forme normale et sa bouche dessina un sourire.

- J'pense pas que ce soit une chance, mais de l'intelligence. 'Faut être maboule pour se promener en mini-jupe par ce temps.

Par un mouvement de tête, elle désigna un groupe de jeunes filles qui passait en courant se réfugier dans un bâtiment. Elles riaient et piaffaient, dans leur uniforme de têtes vides. Amiko murmura un "T, t, t" en secouant la tête : ridicule. Puis, ne sentant plus ses mains, elle se le frotta pour essayer de se les chauffer : elle avait perdu ses gants.

- P'tain, t'as pas froid, toi ? Comment tu fais pour rester assise ici ?

[HRP : c'est moi ou mes RP se font plus courts ? Pff...]

[Ne t'en fais pas, c'est la normale normalité du normalisme. Euh... Bref, t'en fais pas.]

- Le système des uniformes féminins d'un côté et masculins de l'autre est de toute façon plutôt désuète. On devrait laisser les élèves choisir leur tenue sans limité leur choix à une seule par année.

Amiko n'avait pas l'air dangereuse. Malgré cela, l'Observatrice ne baissa pas sa concentration. Cette fille avait beau avoir l'air juste un peu plus "spéciale" que les autres, quelque-chose clochait dans son aura, c'était irréfutable. Le seul problème était la tare qu'avait Quivani à entretenir des conversation en vue de création de liens sociaux. Qu'importe. Que ça marche ou non, elle ne lâcherait pas Amiko. C'était sa fonction d'Observatrice... d'observer.
Elle voulu aller un peu plus loin dans la discussion.

- Simple entraînement. Ça force la bonne circulation du sang dans chaque muscles, aussi insignifiant soit-il. C'est bon pour le corps. Harada Quivani, 21 ans, classe de première.

[AH ! Tu as fais une faute ! Il y a un T à Toussaint !
- Non, deux. Et pis toi aussi tu fais des fautes.
...Garoumph....]

Sans Satan qui lui murmurait de l'aide à son oreille, la lycéenne n'aurait jamais compris ce que disait Quivani. Elle n'avait jamais aimé lire et étudier... Son interocutrice devait être prof dans une autre vie. En l'écoutant parler, le visage d'Amiko se transforma légèrement : sa bouche s'entrouvrait et ses sourcils se relevaient. Elle parlait avec du vocabulaire recherché sans gène apparente. Elle comprit un peu plus la cause de ce langage quand la jeune femme se présenta. Effectivement, à 21 ans, on cause moins comme les ados. le visage de la jeune fille reprit une forme normal et sourit, reprenant la conversation qu'elle avait du mal à suivre.

*Ne m'abandonne pas, Sachi-kun.*
*Abandonne ce surnom, alors.*

- Si tu l'dis... N'empêche qu'on se les gèle... Moi c'est Amiko Akuma, 18 ans depuis peu. Ah, je suis en première aussi.

Amiko jeta un coup d'oeil à l'élève de première et se décida à parler franchement, tant pis pour la mise en garde de Satan.

- T'es pas un peu vieille pour aller au lycée ? C'est parce-que t'as 21 ans que tu ne porte même pas un uniforme ? Ah, et pourquoi tu causes euh, de manière soutenue ?

*Non, mais vraiment ! Baka !*

La jeune tête brûlée ignora son ami et attedit la réaction de "la vieille" avec appréhension.

Quivani battit des paupières et tourna la tête vers un petit groupe de lycéens entrant dans l'un des imposants bâtiments. Elle ne voulut pas répondre à la première question de la jeune fille. Le passé reste le passé, mais il était inutile de parler de son oncle puisqu'officiellement, il n'avait jamais existé sur cette Terre.

- Ouais, j'ai un... accord avec le proviseur.

Ses yeux gris revinrent sur Amiko tandis que l'Observatrice penchait légèrement la tête sur le côté.

- De manière soutenue ? 'm'en étais pas rendu compte. C'est pas dans mes habitudes, pourtant. Sorry.

La sonnerie choisit la fin de sa réplique pour retentir. La débandade commença dans le campus pour rejoindre sa classe le plus vite possible. Quivani observa d'un œil à la fois indifférent et analytique tous ces jeunes gens qui passaient devant les deux filles.

- Tu as cours de quoi, Akuma ?

Comme beaucoup, Van appelait les nouvelles connaissances par leur nom. Jamais elle n'ajoutait de suffixe, c'était trop subtile pour son caractère sélectif.

La réaction fut bien moins agressive qu'Amiko s'était imaginé : Quivani avait répondu d'une manière naturelle sans offense visible. PLus ou moins médusée mais silencieuse, Amiko regarda la lycéenne plus âgée en se disant qu'elle était bizarre. Oh, ce n'était pas de manière mauvaise ou sournoise qu'elle le pensait, mais d'une manière assez amusée. Enfin quelqu'un comme ça dans cet immense bahut.
Ce fut avec ses pensées contradictoires qu'elle fouilla dans sa poche chercher un morceau de papier usagé qu'elle essaya de déchiffrer. Pire que les symboles satanistes.

- Euh... Je crois que j'ai... euh... c'est écrit quoi ? SVT ? Ou Science Phy ? bah, c'est dans le même établissement, toute façon. Je suivrais Mizuno.

Elle rangea son papier dans la poche de sa veste, rajusta son casque qui allait tomber, attrapa son sac et sauta du banc. Une fois à terre, elle se retourna vers l'autre, toujours assisse.

- Et toi la veille ?

Au nom prononcé par Amiko, Vani sortit de sa paisible contemplation d'élèves marathoniens. De toute façon, ils couraient tous à peu près pareil.

- Yakumi Mizuno ? L'exorciste ? Bon. Et je ne suis pas vieille.

Avec nonchalance, elle se leva, s'étira en soufflant de la buée dans le froid, passa son sac par-dessus son épaule et se posta devant Amiko. La différence de taille et de carrure était... plutôt impressionnante, vue par un quelconque spectateur.

- On est donc dans la même classe, Akuma. Et on a SVT. Dissection, à ce qu'y paraît.

Quivani commença à s'éloigner en direction du bâtiment à l'air le moins engageant de tous, puis elle jeta un regard par-dessus son épaule :

- Alors, Akuma, tu viens ?

Son visage restait impassible, mais intérieurement l'Observatrice souriait de satisfaction.

Alors qu'elle mettait son sac sur son dos, Amiko suivit du regard la lycéenne qui semblait prendre son temps.

- Oh ? Tu connais Mizuno ?

Sa voix se bloqua quand Quivani se posta devant elle : elle ne l'avais pas imaginée si grande. Sa bouche s'ouvrit et se referma, ne sachant pas trop quoi dire. Amiko n'avait encore jamais remarqué qu'Harada était dans sa classe. Elle se dit pour se rassurer qu'à 40 élèves par classe, c'était normal... Mais...

* Qu'est ce qui te fais rire ? Tu le savais depuis le début ? Et puis, pourquoi faut se méfier ?!*
* oui ! et tu ne t'en es même pas rendue compte... Tu ne t'occupes jamais des autres, c'est fou, toujours dans ta musique !*
*Tais-toi.*
*J'ai pas envie.*

Irritée, la lycéenne étourdie retira le casque de ses épaules et le fourra dans son sac. Mais elle arrêta son geste quand elle s'aperçut qu'elle... n'avait PAS oublié sa blouse de sciences . Elle était bien rangée entre deux cahiers et assez loin de son bentô (quand l'avait-elle fait ?) pour ne pas la salir.

*Sachi... C'est toi qui a préparé mon sac ?*
*Yep. J'expérimente mes pouvoirs, qui sont bien limités, d'ailleurs.*
*...Merci.*

Amiko referma en vitesse son sac et reposa son casque adoré sur ses épaules et s'élança vers sa camarade de classe.

- Euh, oui, j'arrive!

Arrivée à sa hauteur, elle s'excusa, à sa manière :

- Tu es dans le lycée depuis longtemps ? J'ai pas le souvenir de t'avoir vu en classe... Surtout avec ta carrure... Je ne ...savais pas. Désolée.

- Yakumi et moi avions déjà eu à faire ensemble.

Cheminant en sa compagnie, Quivani jeta un bref coup d'oeil à Amiko.

- T'inquiètes. Si ça peut te rassurer, je ne t'avais ressentie non-plus.

Elle voulait faire allusion à ce que la jeune fille cachait, mais ce n'était ici qu'une déformation 'professionnelle'. Elle ouvrit l'un des grands battants de la porte d'entrée du bâtiment des sciences, laissa l'adolescente passer et l'entraîna derechef dans des escaliers peu peuplés.

- Je suis arrivée dans ce bahut cette année. Après la fusion des lycées, en somme. J'étais dans le même bahut que la plupart des racailles étudiant ici. Et toi ?

*" eu à faire ensemble."... ? Elle s'est battue contre elle, ou quoi ?*
*Toi aussi.*
*Chut !*

Amiko passa ce détail d'expression et essaya de suivre les longs mouvements de Quivani.

- Comment ça, ressentie ?

Mais sa voix fut couverte par des éclats de voix de lycéens très... émotifs. Suivant sa camarade de classe dans un endroit moins puplé, la lycéenne de petite taille passa aussi ce détail et essaya d'arrêter de critiquer.

- Le lycée Rakai ou un truc comme ça ? Remarque, vu ta carrure, on le devine... Moi je venais d'un lycée de campagne, mais j'ai pas suivit beaucoup de cours à cause de.. problèmes de santé. C'est la première fois que je suis dans un établissement aussi grand... Remarque, c'est logique.

Amiko souffla un peu, parler autant ne lui ressemblait pas.

- On se rallonge, là, non ?

- On sa rallonge toujours quand on évite la foule.

Une fois de plus, Van ne répondit pas à la première question d'Amiko. C'était l'une de ses manies : ne pas répondre à ce qui la gênait. Plutôt que de contourner un problème, elle y mettait fin, et cette règle était appliquée pour tous les genres qui pouvaient exister.

- Ouais, Rakai. Avec que des incorrigibles, des inconscient, et des cons tout court. Mais ma carrure n'a pas à voir avec la nécessité de se défendre. Mon séjour à Rakai n'a fait que l'entretenir.

Elles découvrirent une foule d'élèves bruyants en ouvrant la porte donnant sur le couloir du troisième étage. Quivani soupira, mais n'eut pas grand chose à faire pour que les jeunes gens s'écartent de son chemin. Ils murmuraient des exclamations sur son passage. On aurait aisément pu la prendre pour la garde du corps d'Amiko. Leur salle de travaux pratique était déjà ouverte, elles n'avaient plus qu'à s'installer à la dernière table libre située juste devant le bureau du professeur.

- Mlle Harada, je pense que vous devriez échanger votre place avec Mlle Yakumi qui est assise au fond. Sans doute comprenez-vous que votre taille risque de gêner les élèves pour la lecture du tableau.
- Oui, bien sûr. Pas de problème.

Quivani reprit le sac à bandoulière qu'elle avait posé sur le plan de travail, jeta un dernier regard à Amiko et partit s'installer au fond de la salle. Son regard croisa celui de Mizuno. Elles ne se détestaient pas, mais se méfiaient l'une de l'autre. Surtout Mizuno de Quivani.
Docile, cette dernière mit mal à l'aise sa nouvelle voisine de classe de biologie. Elle était décidément trop grande et trop musclée pour les autres lycéens.

Malgré ses petites jambes, Amiko tint la cadence et se faufila dans le passage que Quivani créait sur son passage. Les élèves les considéraient avec de gros yeux et les rumeurs se dressaient sur leur passage. Amusée et le sourire aux lèvres, la jeune fille suivit sa camarade, se retenant de s'accrocher à son immense dos.

* Je suis sûre qu'elle ne s'en rendra même pas compte... *

Elles arrivèrent hélas devant la salle de TP avant qu'Amiko prit l'initiative de jouer au koala sur une ancienne élève du lycée le plus craignos de la ville. Elle salua le professeur et allait s'installer aux côtés de sa nouvelle connaissance quand l'enseignant l'en empêcha, envoyant Quivani au fond de la salle et Mizuno près d'elle. Dans un dernier élan, Amiko lança un clin d'oeil à la jeune adulte qui devait se sentir trop grande, trop vieille, trop tout.

- Bonjour, Akuma. Tu as fait la connaissance d'Harada ?
- Ouais, j'ai découvert qu'on était dans la même classe, c'est drôle, non ? J'le savais même pas. A croire qu'elle était invisible.

Sa voisine ne répondit pas, le cours venait de commencer. Mais Amiko devina une étrange lueur dans les yeux de la jeune fille, qui confirma ses doutes.

* Elle ne doit pas être comme les autres... Bon, l'hâchecéel ... *

Elle se promit d'en savoir plus sur Quivani Harada. Mais d'abord, il fallait savoir pourquoi la hâche était elle.

Quivani n'écoutait que partiellement ce que le professeur déclamait avec passion. Elle en savait déjà assez sur les principes de la vie organique pour savoir comment tuer ou soigner, alors disséquer une grenouille ou espionner des cellules, elle n'en avait cure. Elle n'aura qu'à recopier les cours de sa voisine pour être sûre de ne rien avoir loupé d'important ; elle avait autre chose à penser. Amiko dégageait une aura démoniaque tout en étant humaine. Quivani en était sûre : elle était bien humaine. Pas seulement de corps, mais aussi d'esprit. Alors d'où venait cette essence démoniaque présente en elle ?
Le professeur l'interrogea soudainement :

- Mlle Harada, pouvez-vous me répéter ce que je viens de dire ?

Elle ne sursauta pas, mais fut brutalement tirée de ses réflexion. Elle n'eut qu'à jeter un coup d'oeil au schéma brouillon dessiné sur le tableau pour comprendre où le cours sur le mécanisme de la vision en était rendu.

- Vous avez dit que les yeux étaient reliés au cerveau par deux nerfs optiques chacun. Par exemple, l'un des nerfs de l'oeil gauche est relié à l'hémisphère gauche du cerveau et l'autre à l'hémisphère droit. C'est pareil pour l'oeil droit, et il y a donc deux nerfs sur les quatre qui se croisent.

Le professeur, sans doute un peu déçu de ne pas avoir pu coincer cette masse de muscles qu'il croyait sans cervelle, n'y trouva rien à redire et continua son cours. Cette coupure empêcha Quivani de revenir sur ses réflexions et l'obligea à suivre le reste du cours jusqu'à la fin.

Plus le professeur parlait, moins Amiko comprenait ce qu'elle pensait. Elle n'arrivait pas à se concentrer sur autre chose que ses cours, et ça l'ennuyait profondément, elle aurait préféré regarder par la fenêtre en pensant à ce qu'elle allait mettre dans la gueule aux vagabonds le soir-même. Elle avait "rendez-vous" dans une des ruelles sombres de la ville pour un règlement de compte. Et pourtant, elle était en cours, à recopier des paroles qu'elle ne comprenait pas.

* Sachi... Je comprends rien !*
* Chut... *

Un mini-ronflement signala à la jeune fille que son ami dormait. Désabusée, elle s'écrasa contre la paillasse et considéra son prof d'un oeil morne, sans se soucier des coups d'oeil désapprobateurs de Yakumi.
Et tant pis si elle était interrogée comme Harada, elle inventerait une réponse prise au hasard dans son cerveaux brumeux. Elle ne savait même pas de quoi portait le cours, mais ce n'était pas grave, la sonnerie allait bientôt les sauver de ce calvaire.
C'était décidé, elle n'irait pas au cours suivant, elle observera la pluie glacée s'abattre sur la ville du haut d'un toit. Elle pourrait même y entrainer la vieille pour en savoir plus sur elle. Comme Satan dormait, elle ne risquait rien.

Lorsque la classe commença à s'agiter, le professeur aux grosses lunettes retroussa un peu la manche gauche de sa blouse blanche pour regarder sa montre. En effet, il était moins trois. Soit les jeunes regardaient l'heure toutes les minutes, soit ils avaient une horloge dans le crâne. Ou alors les deux. Tandis qu'il se promettait pour la énième fois dans ses 20 ans de carrière de professeur de collège de scanner le cerveau d'un élève, il modifia un peu son cours afin de compléter le schéma du tableau le plus vite et efficacement possible avant la sonnerie. A peine cette dernière eut-elle retenti que tous les adolescents se levèrent comme un seul être, les affaires déjà rangées dans les sacs, pour se ruer vers la porte de la classe.
Quivani, elle, prit son temps pour fermer sa trousse et glisser son cours dans son porte-document noir. Elle ne se leva de son inconfortable tabouret qu'une fois son sac jeté sur l'épaule. Son premier réflexe fut de vérifier que plus personne ne traînait dans la classe, Amiko et le professeur mis à part, puis elle se dirigea vers sa nouvelle coéquipière de classe pour la pousser du doigt.

- Debout. Tu ne veux quand-même pas te faire enfermer dans ce genre d'endroit ?

Le professeur, grognon, décida de ne pas relever et s'en fut dans le local situé derrière le mur du tableau en faisant semblant d'avoir des choses à faire. Cette Harada arrivera sans doute un jour à le faire tourner en bourrique. Il aura intérêt à revoir ses méthodes de captation d'attention.

Au final, Amiko avait décroché et n'avait plus conscience de ce qui se passait autour d'elle. Elle était passée en mode "veille". Elle sortit brusquement de sa méditation quand elle entendit la sonnerie, un peu vaseuse. Elle considéra la salle autour d'elle et constata qu'il ne restait plus grand monde. La lycéenne sentit une pression sur son épaule et elle leva la tête pour contempler Quivani. Elle esquissa un sourire et jeta un coup d'oeil amusé au professeur.

- Oh que non, c'est l'enf...

Elle se mordit la langue et se rattrapa rapidement :

- ...l'endroit le moins vivable à 100 km à la ronde.

Elle se leva et fourra ses affaires dans son sac, non sans faire attention à son repas de midi, le moment le plus important de la journée. Elle regarda Quivani et lui désigna la porte d'un mouvement de tête.

- Ca te dit de me suivre sur le toit pour les maths ?

Elle commença déjà à avancer, laissant sa camarade de classe décider par elle-même.